Jean-Louis Funck-Brentano

Voici l'article que lui consacrait Le Monde (dimanche 6 - lundi 7 juillet 1997). Nous le reproduisons avec l'autorisation du Journal et de Madame Funck-Brentano. En nous autorisant à reproduire ce texte, Madame Funck-Brentano ajoutait: " Je suis très touchée par votre intention d'honorer le souvenir de mon mari. Il aimait beaucoup vous retrouver pour se projeter dans le futur avec encore beaucoup d'ardeur"

Un homme dans la cité

LE PROFESSEUR Jean-Louis Funck-Brentano est mort jeudi 3 juillet, à l'âge de soixante-douze ans.

Grand pionnier de la médecine moderne et acteur lucide, et souvent visionnaire, de notre temps, Jean-Louis Funck-Brentano appartient à cette jeune génération de l'après-guerre qui, sous l'égide de quelques grands maîtres, a associé les carrières de médecin et de chercheur. Dès le début des années 50, il rejoint l'équipe animée par le professeur Hamburger et participe à cette grande aventure que fut la lutte contre l'insuffisance rénale. Son génie, et la passion profonde qu'il n'a cessé d'avoir pour la technologie, l'ont conduit à devenir l'un des pionniers du rein artificiel. Cette belle page d'histoire de la médecine française ne peut se résumer en quelques lignes. Je n'évoquerai que certains aspects qui, à mon sens, illustrent la profonde originalité de la contribution de Jean-Louis Funck-Brentano.

Il a débuté ses travaux de recherche sur la physiologie rénale et les mécanismes intimes de ses dérèglements. Son activité de recherche était animée par l'urgence, vécue au quotidien par tous les médecins, d'engager une lutte contre la montre face à la mort et à la souffrance de ses patients. Il introduisit à l'unité 90 de l'Inserm, dont il fut le premier directeur, les radio-isotopes qui lui permirent de réaliser les mesures fines de la fonction rénale.

Toujours à la recherche d'innovations en vue d'améliorer la filtration du sang de ses malades (dialyse), assurée par le rein artificiel, il contribua à élaborer une nouvelle membrane, de haute perméabilité, en engageant un véritable partenariat avec la société Rhône-Poulenc. Ce fut un progrès fantastique pour tous les patients: leur temps de dialyse fut diminué de moitié. Ce temps gagné pour la vie quotidienne des malades représenta l'une des grandes joies de Jean-Louis Funck-Brentano. Ce fut également un véritable succès industriel qui donna lieu à la création d'une alliance entre Rhône-Poulenc et les laboratoires Sandoz pour la production industrielle et la distribution d'une nouvelle génération de reins artificiels. Responsable depuis un an de ce grand établissement de recherche qu'est l'Inserm et auquel Jean-Louis Funck-Brentano appartenait, je témoigne de l'importance que revêt la démarche qu'il a su mener de coopérer avec le monde industriel pour le bénéfice direct des malades.

Héritier d'une grande lignée familiale de médecins et de chirurgiens, Jean-Louis Funck-Brentano aurait pu se satisfaire et continuer une carrière brillante de médecin hospitalier - il était chef de service de thérapeutique néphrologique à l'hôpital Necker-Enfants malades - et de chercheur. Mais là n'était pas sa nature profonde, ni sont intérêt pour les choses de la cité. Son tempérament d'homme d'action qui le fit s'engager dès l'âge de dix-neuf ans dans la seconde guerre mondiale le poussa vers des horizons plus larges. Conseiller de Simone Veil, alors ministre de la santé, il devint, quand il le jugea nécessaire, un véritable militant de l'hôpital public dont il défendit les valeurs profondes. Sa curiosité pour la technologie et cette qualité subtile d'être à la fois un homme d'observation et de lien entre des disciplines très variées le conduisirent à s'intéresser à l'informatique.

DISCIPLINES D'AVENIR

Bien que n'étant pas un expert technique en ce domaine, et revendiquant cette qualité, il se forgea la conviction, dès les années 70, que l'informatique était l'avenir de la médecine. Les systèmes experts, le télé-enseignement, le traitement de l'information et sa diffusion devinrent son combat personnel. Il partagea cette vision avec Jean-Jacques Servan-Schreiber et participa à la création du Centre mondial de l'informatique, dont il devint président en 1985. Les idées novatrices, chacun le sait, ont besoin d'arriver à des moments propices. Le visionnaire qu'était Jean-Louis Funck-Brentano n'a pas toujours été entendu par ses contemporains. La lenteur de pénétration des technologies de l'information l'exaspérait parfois. La vitesse de circulation des informations, aujourd'hui, ne fait que souligner combien tous les métiers, et celui de la médecine notamment, ont intérêt à se saisir de ces nouvelles possibilités pour maîtriser leur avenir. L'un des lieux qui a offert à Jean-Louis Funck-Brentano la possibilité d'agir comme il l'a toujours souhaité, c'est-à-dire aux carrefours des disciplines qu'il pressentait d'avenir, fut sans aucun doute le Comité des applications de l'académie des sciences (Cadas). Il avait souhaité me rencontrer pour préparer le programme d'une réunion mondiale que le Cadas organisera en 1999 sur l'application des technologies dans le domaine de la santé. Connaissant sont état de santé, je suis resté impressionné par son engagement sans faille.

Il émanait de lui cette même élégance que nous avons toujours admirée. Le courage est certainement la plus belle des qualités qu'il manifesta tout au long de sa vie, et que j'ai retrouvée lors de notre dernière entrevue. Mais tous ses collaborateurs et amis ne me pardonneraient pas d'oublier d'évoquer, dans cet hommage de quelques lignes, ses qualités de coeur, de profonde tolérance et de sensibilité aux autres. Jean-Louis Funck-Brentano était aimé.

Professeur Claude Griscelli
Directeur général de l'Inserm